Identity politics en France

« C’est un grand black. » « C’est un quartier populaire plein de blancs, de blacks et de beurs. » Ceci n’est pas une forme de mélange français anglicisé à la mode. De plusieurs façons, ces phrases résument la manière dont la France réfléchit sur l’identité et la politique identitaire. Dans une langue connue pour son aversion pour les anglicismes, j’entends le mot « un black » assez souvent. Derrière cet usage, je trouve un niveau d’hypocrisie – une certaine contradiction cachée derrière l’ensemble du système français de politique identitaire.

Il est évident que le discours racial utilisé aux États-Unis est, à bien des égards, incompatible avec la société et le discours racial français. Ce n’est pas pour dire que ce n’est pas pertinent – très clairement, c’est pertinent – mais beaucoup de ses éléments ne peuvent pas aller de pair avec des notions françaises établies de cohésion sociale. En France, nous sommes tous français. Nous avons l’obligation d’être français – d’être égaux dans notre francité et de nous réunir autour de nos similitudes en tant que français. Ce que nous appelons le colorblindess aux États-Unis et on marque comme un tabou semble être une ébauche de l’approche du discours racial en France. On souligne l’unité; une unité qui semble uniquement possible dans l’effacement de la différence.

Il y a beaucoup d’exemples d’un tel effacement. La laïcité, pour sa part, est le concept contesté qui suscite beaucoup de discussions en France et dehors. C’est la tentative de pousser la religion dans la vie privée et d’interdire toute manifestation publique d’allégeance religieuse. La laïcité, son application, ses implications et ses problèmes méritent un blog post complètement séparé. En faisant abstraction de la mesure dans laquelle elle atteint ses objectifs, la laïcité montre clairement l’idée française de l’unité nationale. C’est l’idée que nous aspirons tous à une identité française qui n’a pas beaucoup de place pour le pluralisme manifesté.

Puis vient la race, inévitablement liée à tout ce qui précède. On ne peut pas réduire la race à la sphère privée; les manifestations physiques de la race diffèrent de celles de la religion et un principe correspondant à la laïcité n’est donc pas une option. Mais dans le domaine du discours, les options se multiplient. C’est aussi là que je vois une contradiction dans le système. Le terme « black » – écrit et prononcé ainsi, en anglais – semble être entré dans le français pour tenter de respecter une nouvelle France qui ne voit pas la couleur. Cela semble être une tentative de dénoncer de manière discursive les politiques raciales de son passé colonial.

Plusieurs fois, des Français ont été surpris par mon utilisation du mot noir. Et ce n’est pas que les gens ne reconnaissent pas l’étrangeté de l’emploi du terme « black ». C’est juste que cela semble tellement ancré dans la langue que dire quelque chose d’autre est exorbitant. C’est le problème qui se pose toujours lorsqu’on met en question un statu quo qui nécessite d’être changé.

Si les noirs sont « des blacks », alors les blancs devraient être « des whites ». C’est ce que dicteraient les notions françaises d’égalité et de fraternité et de politiques identitaires. C’est aussi là que réside la contradiction. Dans les efforts d’effacer la différence et maintenir un semblant d’égalité, les Français ont établi l’usage d’un terme qui perpétue la différence ils essaient de fuir, mais d’une manière nouvelle. Bien qu’il n’y ait évidemment rien de fondamentalement mauvais dans la différence et que de nombreuses sociétés trouvent ou applaudissent l’unité dans la différence, la distinction rendue claire par le terme « black » montre un malaise général chez les Français de parler de la race. Utiliser une version anglicisée de la couleur de la peau invite des connotations spécifiques à la race (évidentes dans de nombreuses conversations que j’ai eu où des gens décrivent des autres comme « des blacks »), qui sont non seulement problématiques en eux-mêmes, mais est aussi incompatible avec ce que les Français ont entrepris en renouvelant leurs notions d’unité sociale.

Note : 14,5



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