Dans l’esprit de cette étudiante américaine, la santé et l’immigration marquent les deux rappels les plus évidents que, comme les patients que j’ai interviewés ce semestre, je suis également une étrangère en France. Je pense à Dorothy du Magicien d’Oz quand elle exprime, éberluée, « I’m not in Kansas anymore » – Je ne suis plus au Kansas. Même si personnellement je viens du Nebraska, non pas du Kansas, mon sentiment est le même.
L’immigration est le phénomène social que j’ai toujours perçu comme mieux traité dans mon pays natal qu’en France. C’est la fameuse interdiction de 2005 du foulard islamique dans les espaces publiques qui a piqué mon intérêt pour ce sujet. Je ne comprenais pas comment le pays que j’ai tant imaginé comme le défenseur des droits de l’homme pouvait interdire, même en partie, cette liberté d’expression. Cette décision ne correspondait pas aux principes de la diversité, de la coexistence, et du multiculturalisme que les Etats-Unis m’avaient appris à mettre en valeur.
Par contre, il était toujours clair pour moi que le système de santé en France était supérieur à celui de mon pays d’origine. Grâce à cela, je me considérais toujours plus à l’aise avec le socialisme et l’idée de l’état providence, où the welfare state, que mes voisins et mes amis du Nebraska, un état plutôt conservateur. A mon avis, une politique qui met en priorité la santé avant tout, même avant les difficultés financières, doit être humaniste et louable et exerce une vraie mission de justice sociale.
Alors, quand l’occasion s’est présentée de faire un stage à Toulouse, bien sûr que j’ai voulu être à la croisée de ces deux phénomènes. Grâce à Madame Sylvie Toux, directrice du programme Dickinson en France, j’ai trouvé un stage avec la Consultation Médico-Sociale d’Orientation (CMSO), sous la direction du médecin Jean-Paul Charpiot.
La recherche et l’interaction avec des personnes de milieux et de parcours de vie très divers ont été parmi les plus grands plaisirs de ce semestre. Pendant ces trois mois de stage, j’ai interviewé sept patients, deux médecins, et une secrétaire. Parmi les sept patients, il y avait un Français, trois Algériens, une Marocaine, une Cambodgienne, et une Djiboutienne. Deux patients étaient des hommes et les cinq autres des femmes. Les deux médecins sont Monsieur Charpiot et Monsieur Jean-Claude Guiraud, un médecin du travail à la retraite qui a passé sa carrière à soigner les migrants et les tsiganes. Ces deux hommes ont été toute leur vie des promoteurs militants de la population immigrée et étrangère dans le cadre de la médecine. La secrétaire, Dominique Masson, a passé toute sa carrière avec la CMSO, dès sa création en 1969. Elle connaît l’organisation mieux que toute autre personne, et elle connaît les patients d’une façon parfois plus intime et moins formelle que les médecins.
La richesse de cette expérience a justement produit une richesse de recherche et de savoir acquis qui ont bouleversé mes hypothèses. Je m’attendais à rencontrer beaucoup de difficultés et de conflit en étudiants de près la santé pour les immigrés en France. Quand j’ai pris connaissance des émeutes de 2005 en banlieue, quand j’ai découvert l’histoire de la « Marche des Beurs » de 1983, j’imaginais que la même polémique rencontrée dans le cadre de la scolarité et de la politique se retrouverait dans le cadre de la santé. Je pensais à mon propre pays, à son système où l’assurance coûte trop cher pour un grand nombre de personnes. Pour les étrangers hispaniques, les cliniques sous-financées sont trop souvent le seul moyen pour eux d’accéder aux soins. Peut-être, ai-je pensé, cela serait également le cas en France.
Simplement, j’avais tort. En réponse à la problématique par laquelle j’ai commencé, « Comment les immigrés et les étrangers trouvent le système de santé en France ? » j’ai découvert une réponse très nette : extrêmement bien, à l’unanimité. La polémique à laquelle j’étais attendue dans cette fraction de la société française n’existait pas. Alors, il fallait changer très tôt ma problématique, et me poser de nouvelles questions : si la France éprouve tant de difficultés par rapport à l’immigration, pourquoi le système des soins y échappe-t-il? Je n’ai pas encore répondu à cette question, mais j’espère avoir une réponse plus claire avant de quitter le France en mai.
Cette expérience à la CMSO m’a convaincue que la médecine est aussi, et peut-être même plus, politique et sociale que scientifique. Grâce à cette nouvelle perception de la médecine comme science sociale et science biologique à la fois, je peux beaucoup plus envisager de devenir médecin qu’il y a quelques mois. Pour m’avoir aidé à clarifier mon parcours de vie et mes intérêts professionnels, je n’oublierai jamais ce stage.