Un article de April Springer, Emma Gerber et Willow Palmer

L’effacement

Quand on traverse les couloirs de L’Institut d’Etudes Politiques à Toulouse, il y a toujours des affiches sur les murs qui sensibilisent sur les injustices sociales. Ces affiches montrent des statistiques sur la violence sexuelle, les expériences des Gazans, et l’augmentation du réchauffement climatique. Cependant, on notera aussi qu’il y a un grand sujet qui n’est jamais mentionné: la discrimination raciale. Pendant mon séjour à Toulouse, je suis devenue plus curieuse sur le manque d’information à propos du racisme en France. Pourquoi personne parlent sur la discrimination qui existe ici? Est-ce que c’est possible que le racisme n’existe pas en France? Ces questions m’ont occupé beaucoup durant le début de notre programme. Je les ai posés à Dickinson en France, et on m’a répondu de la même façon — les français pensent que c’est moins “raciste” de ne discuter pas le racisme et d’ignorer les différences entre les “races”. En comparaison avec les États-Unis, où le racisme est bien souvent discuté, cette idée est un peu choquante. Alors, comment est-ce que la pratique de racisme se manifeste-t-elle en France? Et pourquoi existe-t-elle?

Premièrement, il n’y pas d’un mot qui est utilisé couramment pour décrire la couleur de la peau de quelqu’un, tel que “race” en anglais. En fait, le mot “race” en français est utilisé principalement pour décrire les types d’animaux. Par exemple, quand on regarde un chien qui se promène dans la rue, on peut demander à son propriétaire, “De quelle race est votre chien?” Bien qu’on puisse utiliser le mot “race” pour décrire la couleur de la peau, il n’est pas fréquemment utilisé. Sans les mots pour s’exprimer, il est carrément impossible pour quelqu’un à décrire la discrimination ce qu’i.el face. Par ailleurs, les recensements en France ne contiennent pas les données démographiques sur les “races” des français. En fait, les recensements sur la race ont été interdits par le gouvernement français en 1978. Donc, il n’y a rien d’information disponible sur quelques faits sociaux de la société française — comment est-ce que les policiers traitent les personnes de couleur? Quelles sont les différences entre les effets de COVID-19 dans les communautés de couleur et les personnes blanches? Et surtout, comment peut-on identifier le racisme si on n’a pas les données pour le comprendre? Bien que cette idée soit compliquée à comprendre d’un point de vue américain, celle-ci est largement admise par les français. En fait, même beaucoup d’organisations contre le racisme en France sont d’accord avec ces lois sur les recensements. L’organisation contre-raciste, SOS Racisme, argumente que l’addition des statistiques sur race pourra augmenter le racisme qui arrive en totalité.

Enfin, il est clair que l’attitude du peuple français est pour la plupart “daltonien”. Afin de protéger les gens du monde raciste, les français évidemment essaient d’ignorer la race entièrement. Bien que ce phénomène ait des bonnes intentions, elle a des grandes conséquences: il est tellement difficile à démontrer qu’il y a du racisme institutionnel en France, et plus difficile à agir contre le racisme si ce n’est pas un sujet évoqué dans les conversations de français. Ce type de rature évoque une question en particulière — est-il vraiment mieux d’ignorer la race afin d’éviter le racisme?

Le regard des Français sur les cultures différentes et l’assimilation

Une autre facette de cet effacement de la “race” et de l’identité raciale en France est la façon dont les identités culturelles sont traitées ici. Pendant mon bénévolat au Caousou, une école privée jésuite à Toulouse, j’ai eu l’occasion d’observer l’un des élèves de terminale qui s’entraînait pour ses épreuves du baccalauréat en faisant un discours sur les problèmes auxquels la ville de New York sera confrontée dans les années à venir. Avec les documents qu’il a eu, il a décidé de parler des divisions raciales présentes dans la ville de New York. Faisant référence au quartier chinois de New York, il a évoqué la “Salad Bowl Theory”: l’idée que même si New York veut se considérer comme un creuset de cultures différentes, elle n’a pas complètement réussi à être un véritable creuset parce que les différents quartiers de la ville conservent leurs propres identités culturelles. Comme les ingrédients d’une salade, les groupes ethniques de New York peuvent encore être identifiés même après avoir été mélangés.

Cette métaphore m’a fait réfléchir à la manière dont les identités culturelles sont traitées en France et aux États-Unis. J’ai entendu dire très souvent que les États-Unis étaient un “creuset culturel”, mais en utilisant la métaphore du creuset et du saladier, il me semble que la France est plus d’un creuset que les États-Unis. Je dis cela parce que les identités culturelles semblent se “fondre” en France. Les gens parlent beaucoup moins de leur héritage et n’en exhibent pas. Alors qu’on trouve de la cuisine internationale dans toute la ville, il m’a été beaucoup plus difficile de trouver une épicerie asiatique. Tout le monde semble participer à la culture française en parlant en français, en portant des vêtements français, et en mangeant de la nourriture française. Pour moi, cette “fusion” des différentes identités culturelles est résumée par les mots de l’un de mes hôtes, qui a déclaré que les gens préféraient pratiquer leurs identités culturelles “dans l’intimité de leur propre maison”.

Cela contraste fortement avec la façon dont les identités culturelles sont perçues aux États-Unis, où il y a eu récemment une pression pour que les identités culturelles soient plus fièrement affichées. Aux États-Unis, il est plus courant de voir un groupe de personnes porter la tenue traditionnelle de leur pays d’origine et les quartiers sont plus souvent peuplés de membres d’un seul groupe ethnique/culturel. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, les États-Unis et la France ont des compositions démographiques très différentes en raison de leurs histoires extrêmement différentes. Comme April a mentionné, il est illégal de collecter des données sur la race et l’ethnicité en France, mais selon certaines estimations, 85 à 90 % de la population est blanche, et la plupart d’entre eux sont d’origine française. Cette situation est différente de celle des États-Unis, où 75 % de la population est blanche et où le fait d’être “ethniquement américain” n’est pas vraiment un concept (en dehors de celui d’Amérindien, qui est également une minorité ethnique aux États-Unis aujourd’hui). Le fait qu’il y a moins de minorités en France rend ces minorités moins visibles, mais je pense aussi que c’est la perspective du “melting pot” en France qui pousse les différents groupes culturels à s’assimiler. En essayant de traiter tout le monde de la même manière, la société française impose une plus grande uniformité culturelle que les États-Unis. Pour moi, cette uniformité culturelle semble reposer sur le principe que quand on veut traiter tout le monde de la même manière, nous devons voir tout le monde exactement de la même manière. Après avoir grandi aux États-Unis, je ne suis pas sûr que ce soit vrai. Je pense qu’il est possible de reconnaître la diversité des origines de chacun tout mais aussi à considérer l’humanité fondamentale de chacun comme égale. Cela ne veut pas dire que la façon dont les États-Unis traitent les différences culturelles est parfaite, car ce n’est clairement pas le cas. Mais entre les deux visions très différentes des États-Unis et de la France sur la race et l’identité culturelle, le “salad bowl” de cultures vivantes des États-Unis me convient beaucoup mieux.

Les États-Unis et la France : Exemples de racisme et perspectives différentes (Willow)

Les États-Unis et la France ont tous deux une longue histoire de racisme, mais leurs approches et leurs conversations sur la race diffèrent considérablement. Aux États-Unis, race est un aspect central de l’identité, reflétant la diversité culturelle du paysnation. Certains groupes en France privilégient une identité nationale singulière par rapport aux distinctions ethniques ou culturelles. Cela n’est pas exhaustif car il existe des communautés et des personnes en France qui expriment leur culture de différentes manières, à la fois en privé et en public. Cependant, les deux pays continuent de lutter contre le problème persistant du racisme, qui persiste sous différentes formes et influence les dynamiques sociales.

Les États-Unis et la France partagent une histoire marquée par le colonialisme et la dépendance à l’égard du travail des esclaves. Les deux nations ont été confrontées pardes problèmes de discrimination raciale dans leurs pratiques policières. Les jeunes hommes d’origine nord-africaine en France sont particulièrement ciblés par des contrôles d’identification discriminatoires. La fusillade de Nahel Merzouk, un adolescent d’origine algérienne, près de Paris en 2023, a déclenché de vastes manifestations à travers la France. De même, le meurtre de George Floyd aux mains d’un policier de Minneapolis en 2020 a servi de point focal pour le mouvement Black Lives Matter (BLM) aux États-Unis. Malgré les efforts déployés pour résoudre ces problèmes, la brutalité policière reste un défi majeur dans les deux pays. Dans les deux pays, il y a eu davantage d’attention médiatique autour du mouvement BLM, et vous pouvez trouver des graffitis à Sciences Po et à Jean Jaurès qui disent “ACAB”. Cependant, ils utilisent la traduction anglaise plutôt que de la convertir en français.

La violence anti-asiatique en France a augmenté depuis le début de la pandémie de COVID-19, bien que ce soit un problème persistant antérieur à la crise sanitaire. Les mythes et les préjugés entourant les communautés asiatiques ont entravé leur sentiment d’appartenance en France. Comme mentionné précédemment, l’identité culturelle en France pourrait être limitée à la sphère privée de votre domicile en raison des pressions sociales. En public, vous devez apparaître français. Les microagressions et la marginalisation sont courantes en France, notamment dans les transports en commun, où les gens ont spécifiquement mentionné qu’ils avaient été victimes de discrimination raciale. Aux États-Unis, les crimes haineux contre les Américains d’origine asiatique ont connu une augmentation alarmante. En 2021, 1 adulte américain d’origine asiatique sur 6 a déclaré avoir été victime d’un crime haineux, ce qui représente une hausse significative depuis le début de la pandémie en 2020. Malgré ces tendances préoccupantes, la violence anti-asiatique dans les deux pays n’a pas reçu autant d’attention médiatique que d’autres mouvements sociaux. Ce manque de visibilité est profondément enraciné dans un schéma historique de négligence des histoires et des expériences des communautés asiatiques.

En conclusion, malgré les attitudes envers le daltonisme et le déni du racisme en France, la réalité demeure que le racisme est un problème persistant et omniprésent. D’autres groupes ont vécu des rencontres similaires, avec plein de préjugés et de micro-agressions qui ont façonné leurs expériences de vie. En tant qu’étudiants des États-Unis, où les discussions sur la race sont courantes et font partie de notre identité, notre expérience d’étude en France nous offre une toute nouvelle perspective. Bien sûr, notre perspective est limitée, car nous ne sommes ici pour que cinq mois, et d’autres personnes y ont vécu toute leur vie. Nos expériences limitées à Toulouse façonnent nos expériences et ne représentent pas toutes les réalités. Pendant notre séjour ici, nous avons remarqué que les conversations sur la race ne sont pas aussi courantes. Ce contraste met en lumière la culture française et nous expose aux différentes attitudes envers la race auxquelles nous n’avions pas été confrontés auparavant. Qu’il s’agisse d’un “saladier” ou d’un “creuset” culturel, ce n’est qu’en confrontant les réalités du racisme que des progrès significatifs peuvent être réalisés vers la création d’une société plus équitable et juste pour tous.