Équipe éditoriale : Isabel, Julianna et Sophia
Le jour de l’arrivée d’Isabel à Toulouse, la fille de ses hôtes s’est empressée de lui demander si elle avait déjà entendu le mot « lull ». Après un moment de confusion, Isabel s’est rendu compte qu’il ne s’agissait pas d’un mot français, mais plutôt de l’abréviation anglaise « LOL », prononcée avec un accent français. Cette expérience s’est avérée être la première d’une longue série de rencontres avec des anglicismes dans la langue française courante. Les propriétaires utilisent du « scotch » pour accrocher des « posters » sur les murs, les parents « font du shopping » chaque « week-end », les lycéens trouvent tout « cool » et « like » les publications sur « Facebook ». Ainsi, l’une des choses les plus surprenantes depuis que nous sommes arrivées à Toulouse est que l’on retrouve pas mal de mots anglais dans nos conversations en français.
La globalisation et l’augmentation de l’usage d’anglicismes
Le recours à des anglicismes est si répandu en français que l’on peut se demander quelles en sont les causes. L’utilisation de mots étrangers n’est pas particulièrement choquante en soi ; après tout, le langage est un phénomène évolutif et l’essor des contacts interculturels à l’ère de la mondialisation n’a laissé pratiquement aucune langue intacte. Nous avons aussi remarqué de nombreux exemples d’autres mots étrangers non-anglais dans la langue française, tels que tsunami (japonais), hijab (arabe) et yoga (hindi). Pourtant, l’utilisation de la plupart de ces termes diffère de celle des mots anglais dans le sens où elle est plutôt limitée – ces mots ont tendance à faire référence à des événements ou pratiques spécifiques à leur culture d’origine. En revanche, les mots empruntés à la langue anglaise décrivent des phénomènes plus universels (le business, le babysitting) et sont plus fréquemment transformés directement en verbes français (customiser, uploader), ce qui indique que le français est plus influencé par l’anglais que par d’autres langues étrangères. Étant donné que la majorité de ces anglicismes proviennent des sports, de la mode, du divertissement et des réseaux sociaux, il semble que ce soit la culture d’Internet et du divertissement, où le langage dominant est l’anglais, qui soit responsable de ces ajouts à la langue française.
Dire, ne pas dire
La prévalence des anglicismes dans le langage français quotidien a retenu l’attention des Français eux-mêmes. En France, la langue est plus qu’un moyen de communication, c’est une question de patrimoine et de culture nationale. L’Académie française, une institution réunissant 40 écrivains et artistes voués à la protection de la langue française et de son intégrité, adopte une position ferme contre l’utilisation des mots anglais. C’est ce que l’on peut voir sur le site de l’Académie, qui comprend une section d’anglicismes à éviter au profit de leurs équivalents français. Par exemple, le site met en garde contre l’utilisation des mots « networking », « hotline » et « brainstorming », suggérant plutôt « travail en réseau », « numéro d’urgence », et « remue-méninges » comme alternatives appropriées. La volonté de préserver la langue française de l’influence de l’anglais se manifeste également dans la réaction suscitée par un projet de loi de 2013 permettant aux universités françaises d’enseigner un petit nombre de cours en anglais. Bien que le projet ait finalement été adopté, ses détracteurs l’ont qualifié de « trahison du patrimoine national » et l’Académie française a également estimé que cette loi était une « trahison linguistique ».
Cependant, bien que certains secteurs de la société française puissent considérer l’utilisation de mots anglais comme une menace pour la culture nationale, le besoin même de l’Académie française de dissuader les francophones d’adopter des anglicismes démontre que tous les Français ne partagent pas ce point de vue. C’est là un dilemme national : bien que les Français soient extrêmement fiers de leur langue et cherchent à protéger son évolution de l’influence étrangère, de nombreux locuteurs sont également désireux d’adopter les termes, expressions et la culture anglophone dans leur discours et leur mode de vie. Par exemple, la fille des hôtes d’Isabel lui a demandé des recommandations de chansons américaines qu’elle puisse faire découvrir à ses amies. De plus, près de la moitié des films projetés dans les cinémas locaux au cours du dernier mois étaient des productions américaines, dont certaines présentées avec la bande originale anglaise et les sous-titres en français. Enfin, de nombreux étudiants de Dickinson ont été contactés par des parents à la recherche d’un ou d’une « baby-sitter » anglophone pour aider leur enfant à mieux apprendre la langue. Ces exemples montrent que l’anglais est clairement populaire en France et que la situation ne semble pas près de changer.
Les Français doivent-ils craindre l’usage croissant des anglicismes ?
D’un point de vue américain, la perception française de cette question est un peu difficile à comprendre. Des articles d’actualité avec des titres dramatiques comme « La langue française en danger ? » (Le Monde), « Il y a une soumission française à l’anglais » (Le Figaro) et « Faut-il bannir les anglicismes ? » (Europe1) reflètent des craintes qui n’existent pas dans la même mesure aux États-Unis, un pays sans langue nationale officielle. Ces articles français alarmistes sont peut-être être liés au déclin apparent de la langue française dans la sphère internationale. Par exemple, le pourcentage d’articles rédigés en Français par la Commission Européenne a diminué de 29 points entre 1997 et 2009; en contraste, les articles publiés en anglais représentaient 72% des documents de la Commission Européenne en 2006. Ces exemples posent la question du déclin de la langue française au profit de l’anglais et de ce qui pourrait ou devrait être fait à ce propos.
Au final, ce mélange cultures et de langages est-il un résultat positif de la mondialisation des échanges ou bien une menace pour l’identité et la culture françaises ? Il est clair qu’il existe une multiplicité de points de vue différents en France et donner une réponse unique ou trop simple serait réducteur et ne permettrait pas de reconnaître la diversité des opinions des Français sur leur propre langue. Dans un monde de plus en plus globalisé, et pendant le reste de notre semestre à Toulouse, il sera intéressant d’observer comment les Français peuvent réconcilier ces intérêts apparemment opposés : le désir de conserver leur héritage culturel et linguistique et le désir de participer au système d’échanges globaux de plus et plus dominé par la langue anglaise.
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