Équipe éditoriale : Bevin, Lara, Melody et Paul
Selon nous, l’un des aspects les plus déroutants de la culture française est la perception de l’espace personnel. La première expérience mémorable de Melody avec la notion d’espace personnel en France a été sa rencontre avec la grand-mère de ses hôtes. En passant par le Jardin des Plantes, Melody avait, par hasard, croisé ses hôtes qui venaient d’accueillir leur grand-mère pour le week-end. Les présentations ont été faites en hâte et, dans la pure coutume française, la grand-mère a voulu faire la bise à Melody, soit un baiser sur chaque joue. Peu habituée à ce qui peut être perçu par les Américains comme une invasion de leur espace personnel, Melody a eu un temps d’hésitation et, lorsque la grand-mère s’est penchée sur sa gauche, Melody s’est penchée à droite et a manqué de l’embrasser sur la bouche ! Comme si cela n’était pas assez embarrassant, lorsque la grand-mère s’est penchée sur sa droite pour rectifier la situation, Melody a voulu faire la même chose et s’est alors tournée sur sa gauche, ce qui a failli provoquer un autre baiser ! Quelle horreur ! Des expériences comme celle-ci ne sont pas rares pour les étrangers qui viennent en France, le concept d’espace personnel variant beaucoup d’une culture à l’autre. Qu’est-ce que l’espace personnel en France ? Comment cette notion est-elle interprétée différemment en France par rapport aux États-Unis et comment cela se traduit-il dans la vie quotidienne ? Bien que ces questions semblent complexes, nos observations de la culture française nous permettent d’explorer cette notion et d’essayer de fournir une analyse structurée de la définition de ce que représente l’espace personnel dans le contexte français.
Vous n’êtes jamais complètement habillé sans un sourire… sauf en France !
En marchant dans la rue aux États-Unis, il est normal de sourire aux personnes que vous croisez. Cependant, en France, cette pratique est rare. En France, si vous souriez comme le font les Américains, les gens seront étonnés et on ne vous rendra pas votre sourire. Vous pouvez penser que c’est parce que les Français sont impolis. Cependant, ce comportement est essentiellement dû à une différence culturelle en termes de perception de ce qu’est l’espace personnel en France par rapport aux États-Unis. Cette différence se traduit dans la manière dont les Français construisent leurs relations. Les Américains sont généralement très ouverts dès le départ et il est normal pour eux de partager des informations personnelles même lorsqu’ils rencontrent quelqu’un pour la première fois. Cette habitude prend plus de temps avec les Français. En effet, s’ils décident de partager avec vous des informations personnelles, il se peut qu’ils ne le fassent pas avant plusieurs rencontres. Bien que cela puisse être choquant pour les Américains, c’est quelque chose de tout à fait normal en France. Les Français accordent de l’importance à leurs relations avec les autres et choisissent prudemment les informations qu’ils partagent.
Assez paradoxalement, comme nous l’avons vu dans l’introduction, il n’est pas rare en France de faire la bise aux personnes que l’on vient juste de rencontrer, alors que cela est perçu comme un contact très intime aux États-Unis, en raison de la proximité physique que ce geste implique. Ceci est une autre preuve que les deux cultures ne partagent pas la même perception de ce qu’est l’espace personnel et la vie privée.
On n’est jamais aussi bien que chez soi…
Le rapport des Français avec leurs espaces privés souligne également la différence culturelle observée dans leurs relations personnelles par rapport au modèle américain typique. En se promenant dans Toulouse, on peut souvent voir des groupes de jeunes gens qui dînent ensemble, s’assoient au bord de la Garonne et profitent de la ville en général. Bien que cela ne soit pas anormalement choquant en soi, il est beaucoup moins fréquent pour les jeunes Américains de choisir de se réunir à l’extérieur. Vivre à Toulouse nous a rappelé les États-Unis de la fin du XXème siècle dans la manière dont les Français ont tendance à se rassembler et les endroits où ils choisissent de le faire. Les Américains ont soif d’innovation et la popularisation d’Internet et des téléphones portables a diminué la nécessité pour les jeunes Américains de quitter leurs espaces personnels pour échanger entre eux. Nos amis, et pratiquement tous ceux qui ont un compte sur les réseaux sociaux, peuvent être joints en quelques clics. Les Français ne sont pas contre la technologie, bien sûr. Eux aussi profitent de l’accessibilité d’Internet et des réseaux sociaux de la même façon. Cependant, ils perpétuent quand même la tradition de rester à l’extérieur de chez eux pour rencontrer les personnes qui font partie (ou non) de leur cercle de relations. Presque tous les jours de la semaine, on peut voir des jeunes traîner près de la Garonne, le fleuve qui traverse la ville de Toulouse. Il est même arrivé à quelques reprises que des amis que nous voulions voir soient déjà là-bas avec leurs propres amis.
Cette différence culturelle a des effets sur la façon dont les deux cultures utilisent leurs espaces privés, et plus particulièrement leurs maisons. La façon la plus typique pour les jeunes Américains de se retrouver est de faire quelque chose à la maison. Les Américains ont inventé le terme “pregame” en référence au fait de consommer de l’alcool avec des amis à la maison avant de sortir, ou encore “Netflix and Chill” pour dire que l’on va regarder un film à la maison avec un ou une potentiel·le petit·e ami·e au lieu de se rendre au cinéma. Le confort d’être chez soi et d’inviter d’autres personnes à venir plutôt que de sortir a commencé à remplacer les classiques sorties au centre commercial où les jeunes avaient l’habitude de traîner le vendredi soir pour passer du temps avec leurs amis ou espérer croiser leurs « crush ». Bien sûr, les Français aiment aussi les soirées pyjama et les moments plus tranquilles à la maison, mais ils ont tendance à être plus sélectifs quant aux personnes qu’ils invitent chez eux et à la fréquence à laquelle ils le font.
De manière plus concrète, cette préférence pour l’intimité se traduit dans l’aspect extérieur des bâtiments français. Les maisons françaises, les immeubles d’habitation, les écoles et les bureaux ont des volets sur chaque fenêtre et même sur certaines portes. Il n’est pas rare de les voir fermés pendant la nuit, les journées chaudes ou lorsque les gens ne sont pas à la maison. Les volets font partie de la culture française en tant qu’héritage traditionnel mais aussi pour leur praticité. Il existe de nombreux types de volets mais les plus populaires sont les volets en bois ou électriques. Les volets peuvent aider à retenir la chaleur pendant l’hiver, empêcher la lumière du soleil de chauffer la maison en été et être un moyen de sécuriser un bâtiment. En marchant le long d’une rue typiquement toulousaine, on peut également observer que la plupart des maisons ont aussi un portail, un muret, ou des haies qui les entourent pour bloquer la vue depuis la rue. En plus de constituer des mesures de sécurité, ces éléments renforcent l’intimité des espaces privés, ce que les Français chérissent. En effet, les Français considèrent la maison comme un espace intime et personnel, où seuls leurs amis proches ou leur famille ont l’habitude de pénétrer. D’ailleurs, l’aménagement typique des maisons françaises peut être utilisé pour décrire les Français en général : réservés et calmes à l’extérieur mais charmants à l’intérieur.
Comment interpréter les différentes approches de la notion d’espace personnel en France et aux États-Unis ?
Avoir de l’espace fait partie intégrante de l’identité américaine en tant que liberté soulignée dans la Constitution. Les grandes maisons avec de l’espace pour les voitures ou les objets que l’on possède sont valorisées, tout comme le fait d’avoir un espace personnel autour de soi, qui est considéré comme la norme. En revanche, les normes françaises concernant l’espace personnel révèlent un paradoxe assez subtil : alors que la maison et la vie personnelle sont considérées comme des aspects extrêmement privés en France, la pratique de la bise, qui peut sembler invasive pour les Américains, est considérée non seulement comme une formalité mais comme une nécessité sociale. Dans le contexte français, l’espace personnel renvoie donc essentiellement à l’espace matériel, comme celui de la maison, tandis que celui du corps et de la personne est considéré comme moins important. En revanche, la mentalité américaine se concentre beaucoup plus sur l’importance de l’espace autour de la personne elle-même : avoir de l’espace pour le corps est ce qui est le plus important pour les Américains et la maison est au contraire considérée comme un espace moins privé, voire parfois comme un moyen d’afficher publiquement son statut social. Pour les Américains, comprendre ce à quoi se réfère l’espace personnel en France peut donc être assez déroutant, surtout avec des pratiques comme la bise. L’un des plus grands malentendus entre Français et Américains vient de cette différence d’interprétation, surtout car le besoin d’espace personnel imprègne tellement nos vies que parfois nous n’arrêtons pas d’y penser. Avec la mondialisation et l’émergence de la notion de citoyens du monde, il nous semble impératif de garder l’esprit ouvert aux différentes cultures et d’être conscients de la façon dont on occupe l’espace, qu’il soit personnel ou physique. Envisager l’espace sous son aspect culturel peut être intimidant mais aussi enrichissant.
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