Article rédigé par Sophie Ackert
A Toulouse, j’ai reçu du gaz lacrymogène. C’est une histoire que je raconterai toute ma vie. Non seulement parce que c’est quelque chose de choquant pour les gens, mais aussi parce que ça me permet de parler à mes proches de la culture des manifestations en France. A la fin de mon premier mois à Toulouse, je suis allée pour la première fois à un entraînement de l’équipe de volleyball. Pendant que j’attendais les autres membres de l’équipe à la station de métro, j’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de monde sur la place. Je savais que les samedis sont les jours de manifestation de Gilets Jaunes mais ils n’avaient pas l’air de faire quoi que ce soit, donc j’ai pensé que la manifestation était terminée et que tout le monde était en train de partir. Puis, en moins d’une minute, tout a changé. La foule s’est rassemblée, les manifestants ont commencé à chanter, et finalement les policiers ont utilisé du gaz lacrymogène et des canons à eau. Comme les manifestants et autres passants, j’ai couru loin de la place. Je me suis réfugiée dans le bâtiment le plus proche, mais je m’y suis trouvée enfermée. Les policiers attendaient à l’extérieur du bâtiment pour arrêter les Gilets Jaunes qui y étaient entrés. Après 35 minutes, j’ai pu partir, j’ai retrouvé les filles de l’équipe de volleyball, et nous sommes allées à l’entraînement. J’étais étonnée que tout continue normalement après une manifestation si intense. Mais pour Toulouse dans cette période mouvementée, c’était un samedi soir normal.
Cette semaine, le 5 décembre, il y avait une grève générale en France. La raison primaire pour cette grève est la réforme du système des retraites que le gouvernement a proposé. Cependant, beaucoup d’autres mouvements ont répondu à l’appel à la grève. Non seulement les transports publics étaient arrêtés dans beaucoup d’endroits, mais certaines écoles et universités étaient aussi fermées. Par exemple l’IEP, mon université, a décidé de conduire une occupation jusqu’au vendredi 6. Nous sommes aujourd’hui le 6 et les étudiants ont décidé de continuer la grève et l’occupation, ce qui fait que nous n’avons pas de cours au moins jusqu’au mardi suivant. Ensuite, ils voteront de nouveau en assemblée générale, à laquelle chaque membre de la communauté peut participer, pour savoir si l’IEP va poursuivre la grève jusqu’à la fin du semestre. Pendant l’occupation les étudiants organisent des ateliers, comme des conférences avec des professeurs ou invités extérieurs, des débats, des projections de films, des sessions de préparation aux manifestations, etc.
*Entre l’écriture et la publication de cet article, la reconduite de l’occupation jusqu’au 13 décembre a été décidée.
Les différences entre les cultures de manifestation française et américaine.
Le fait de se révolter et manifester est un aspect important de l’histoire française, y compris contemporaine. C’est très différent de la culture de protestation aux États-Unis. Depuis la Révolution jusqu’à la grève du 5 décembre, les manifestations sont devenues partie intégrante de la culture française. Il y a eu des périodes de manifestations violentes, comme la prise de la Bastille au 18e siècle, et comme aujourd’hui avec les manifestants « Black Bloc ». Mais il y a aussi des périodes de manifestations plus calmes, comme on l’a vu hier à Toulouse (ndlr : le 5 décembre). Peu importe le type de manifestation, elles ont fonctionné en France lorsque la société voulait faire bouger les lignes du gouvernement. La Révolution est le meilleur exemple de protestation à succès en France. Il y a aussi d’autres exemples, dont le soulèvement des étudiants contre le gouvernement de De Gaulle en 1968, et, en 1995, les grèves contre le « plan Juppé ».
Aux États-Unis, les manifestations sont plus communes que les grèves. Mais même quand il y a des manifestations, elles ne sont pas nationales comme en France. Il y a des manifestations pour des mouvements spécifiques, et elles ne durent généralement pas plus d’une journée. Un bon exemple est la « Women’s March ». C’est un groupe qui organise chaque année des manifestations dans beaucoup de grandes villes américaines. Le but est « d’exploiter le pouvoir politique de femmes diverses et de leurs communautés pour créer un changement social transformateur » (“to harness the political power of diverse women and their communities to create transformative social change”, Women’s March), mais pas nécessairement d’aboutir à des changements législatifs spécifiques ou de gouvernement. Cela s’explique par le fait qu’aux États-Unis, la constitution et les lois sont beaucoup plus difficiles à modifier qu’en France. Notre constitution est presque impossible à amender, alors qu’en France elle est révisée en moyenne tous les deux ans et demi. C’est une explication simplifiée pour comprendre pourquoi la culture de manifestation est si différente en France, et pourquoi les manifestations amènent à des changements.
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